Lettre d’opinion du Regroupement Partage pour les fêtes 2015 sur l’insécurité alimentaire

Plusieurs guignolées sont en cours partout au Québec, mais on remet en question la pertinence de ces collectes. Pourtant, tout le monde s’entend, les banques alimentaires répondent à un besoin évident et essentiel, celui de manger. Un geste qui prend davantage d’importance à Noël.

En image, je dirais que pour sortir une famille démunie de sa précarité, il faut lui donner du poisson, mais j’ajouterai qu’il faut aussi lui donner accès à la rivière et l’outiller pour pêcher. À titre de cofondatrice d’un organisme dont la mission est de combattre l’insécurité alimentaire, je peux dire que la recette magique contre la pauvreté n’existe pas. Elle n’existera pas demain ni après-demain. Chaque cas est différent, chaque famille a son histoire, ses besoins, ses limites. On doit accorder le temps et l’encadrement requis pour passer de l’indigence à l’autonomie financière et sociale. Et cette réussite passe par un ventre plein.

À Montréal, une famille sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. Presque deux fois plus que pour l’ensemble du Québec. Malgré les discours et les promesses de nos élus, les solutions durables contre la pauvreté n’ont jamais vraiment été mises de l’avant assez longtemps pour donner des résultats positifs. Trop souvent, l’État donne d’une main, mais en reprend autant, sinon plus de l’autre.

Imaginez un quotidien ou tout tourne autour d’une question : « Qu’est-ce que je vais donner à manger à mes enfants? » Les parents pauvres se lèvent tous les matins avec le but d’offrir à leurs enfants trois repas dans la journée. Mais trop souvent, ça n’arrive pas. Tout est rationné dans ces familles : le lait, le pain, les céréales, même le papier de toilette! Y a-t-il des fruits et des légumes frais dans le frigo? Très peu et seulement quand ils sont en rabais. Les enfants n’ont pas le droit de fouiller librement dans le garde-manger ou dans le frigo; s’ils ont faim (et comme tous les enfants, ils ont souvent faim!), ils doivent demander la permission. Tout est calculé, mesuré, limité.

Je côtoie des gens démunis au quotidien depuis bientôt 18 ans, mais je ne m’habitue pas de voir, des parents bénéficiaires de l’un de nos Magasins-Partage, pleurer, incapables de retenir leurs larmes, lorsqu’ils reçoivent des denrées alimentaires de base comme de la farine ou du sucre. Je vois dans leurs yeux le stress, la honte, le sentiment de se sentir inaptes comme parents. Chaque fois, je me dis que cette personne pourrait être moi. Les pauvres ne sont pas des parias, des paresseux. Ils ne sont pas des illettrés ou des personnes qui veulent vivre aux crochets de la société.

Je suis peut-être une optimiste, mais je formule un vœu : celui de prioriser collectivement (citoyens, organismes tel le Regroupement Partage et gouvernements) la lutte à la pauvreté, et ce, à l’année. La pauvreté paralyse notre société et nous coûte trop cher. J’interpelle à nouveau le gouvernement à en faire davantage. Il doit s’engager concrètement contre la pauvreté et ne pas viser que le déficit zéro.

Noël arrive dans quelques jours. Les Magasins-Partage de Noël vont nourrir 20 000 personnes pour les fêtes (des centaines d’autres sont inscrits sur nos listes d’attente). Aider les parents, les enfants, les personnes âgées démunies n’est pas un luxe, c’est la base même de la dignité humaine. Il ne faut pas l’oublier, manger un repas se répète 1095 fois par an.

Soyez généreux!

Sylvie Rochette,
cofondatrice et directrice générale Regroupement des Magasins-Partage de l’île de Montréal
www.magasinpartage.org, 514 383-2460

Télécharger une version pdf