Lettre d’opinion parue dans La Presse édition du samedi 5 août 2023.
« Comment peut-on se concentrer sur son éducation et développer son plein potentiel lorsqu’on a faim et que chaque dépense est une source de stress pour toute la famille ? », se demande l’auteure.
En tant que directrice générale du Regroupement Partage, organisme dédié à la lutte contre l’insécurité alimentaire et l’exclusion sociale, je me dois de vous informer d’une situation qui me préoccupe grandement et qui doit collectivement tous nous interpeller : l’augmentation fulgurante depuis quelques mois du nombre de familles québécoises basculant du jour au lendemain dans la pauvreté.
Au Québec, la solidarité, l’égalité des chances et la justice sociale sont des valeurs fondamentales. Malgré cela, nous sommes témoins actuellement d’une réalité très troublante. Près d’un million et demi de ménages québécois ne parviennent plus à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires ni à se nourrir correctement1.
Oui, ces chiffres sont alarmants et ne devraient laisser personne indifférent. Selon les statistiques les plus récentes, le taux de pauvreté au Québec a atteint un niveau des plus préoccupants. Nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer la situation ni les répercussions profondes et dévastatrices qu’elle a sur l’ensemble de notre société. Problèmes de santé physique et mentale, perte de confiance, isolement… les conséquences de la pauvreté augmentent les inégalités sociales et compromettent le développement et le bien-être de toute la communauté, à court et à long terme.
Comment peut-on se concentrer sur son éducation et développer son plein potentiel lorsqu’on a faim et que chaque dépense est une source de stress pour toute la famille ? Tous les chercheurs en éducation s’accordent sur les effets néfastes de la pauvreté sur la scolarité des enfants, et ce, dès la maternelle. Les enfants les plus pauvres ont 34 % plus de risque de se retrouver en situation de vulnérabilité scolaire et de décrocher s’ils ne sont pas soutenus.
Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à cette réalité. Il est de notre responsabilité de nous mobiliser et de trouver des solutions concrètes pour lutter contre la pauvreté des familles québécoises et faire barrage au cycle infernal de la précarité intergénérationnelle.
Instances gouvernementales, organisations communautaires, entreprises, citoyens, nous devons rassembler nos forces et agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.
Les gouvernements doivent renforcer les programmes d’aide sociale et de sécurité du revenu afin de garantir aux familles les plus démunies les moyens de subvenir à leurs besoins essentiels et investir dans des programmes d’éducation et de formation pour améliorer l’employabilité et l’autonomie des personnes en situation de précarité. Parallèlement, il nous faut collectivement faire valoir toute action publique ou entrepreneuriale permettant de réduire les inégalités économiques : équité salariale, protection des droits des travailleurs, création d’emplois décents, logements à prix abordables, règlementation des marges de profit sur l’alimentation et les produits de première nécessité, etc.
Enfin, nous devons fortifier la concertation entre les organismes communautaires engagés dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. Le plus souvent seules en première ligne sur le terrain, ces organisations jouent un rôle essentiel en fournissant une aide alimentaire d’urgence, mais elles ont besoin de ressources supplémentaires pour répondre à l’afflux croissant des demandes de soutien et agir à la source des problèmes afin de pouvoir aider les bénéficiaires en allant au-delà de l’aide d’urgence.
Ensemble, nous pouvons construire un Québec où chaque enfant grandit dans des conditions propices à son épanouissement, où chaque famille est soutenue dans sa quête d’autonomie et où la solidarité est une valeur qui se traduit par des actions concrètes et durables.
Merci de prêter une oreille attentive à ce cri du cœur. L’augmentation de la pauvreté est une réalité que nous ne pouvons ignorer plus longtemps. Nous comptons sur chacun d’entre vous pour nous aider à la combattre et à promouvoir une société plus juste pour tous.
1. Consultez le site de l’Observatoire québécois des inégalités
Audrey Renaud, directrice générale, Regroupement Partage